Archive for November, 2012

Longue est la nuit

Tuesday, November 27th, 2012

J’aimerais pour une fois aborder un thème de société sur ce blog :

Pour ou contre l’insomnie ?

A priori, poser la question, c’est y répondre. En ce temps de crise et de morosité, dormir, c’est du temps perdu. L’insomnie, c’est des heures et des heures de gagnées, que l’on peut enfin consacrer à des activités délaissées durant la journée comme penser au temps qui passe ou écouter le robinet goutter dans la cuisine. Elle peut également être le prélude à d’amusantes distractions : qui n’a jamais repeint son plafond sur le coup de 4 heures du matin ?

Il est de plus bien connu que l’insomnie aide à la création artistique. Avez-vous jamais lu un roman parlant de quelqu’un qui dort super bien ? Connaissez-vous un seul artiste expliquant qu’il crée surtout au cours de ses nuits de sommeil profond ? Et ces français romans au style enlevé, ceux dont l’auteur n’a pas cette sotte vulgarité de s’intéresser à l’histoire alors qu’il pourrait rajouter un adjectif, leurs foisonnants oxymores, leurs amphigouriques catachrèses que louent les critiques subjugués par cet impétueux amas de sémillants vocables, qui donc, dans un funeste monde dépourvu d’affables insomnies, les lirait ?

L’insomnie permet aussi de compter les moutons, ce qui nous rapproche de la nature dans un monde où de plus en plus de bergers font appel à des compte-moutons automatiques.

Et puis il faut bien que les fabricants d’anti-cernes gagnent leur vie, avec tout ce chômage.

Non, vraiment, l’insomnie a tout pour elle. A condition de respecter quelques règles simples qui permettent de la vivre pleinement. Ne faites pas comme ces insomniaques débutants et naïfs qui croient dur comme fer qu’ils vont se rendormir. Des heures perdues à tenter de faire le vide dans son esprit, à en chasser toutes pensées interlopes, alors qu’on pourrait très bien se lever, aller à la cuisine et se préparer une bonne interlope panée, ça me chagrine. Et dans un souci de confort, il est préférable que le nombre d’insomniaques à domicile soit supérieur ou égal au nombre d’habitants.

Mais bon, ça fatigue un peu, à la fin.

Bigger, Faster, Dicker

Friday, November 9th, 2012

– Tiens, Gunda, on te voit beaucoup en ce moment.
– Oui.
– Des soucis avec Ramuntcho, ton amant mexicain ?
– Arrête, on ne rigole pas avec ces choses-là. Le pauvre… Bref. Tu as lu le Dicker ?
– J’ai eu une Black & Decker, une fois, enfin, elle était à un copain, j’ai lu le manuel, après j’ai pas osé m’en servir, c’est super dangereux.
– Mais arrête, tu embarrasses tout le monde. Bon alors le Dicker, c’est un livre qui a été écrit par un Suisse et qui a presque eu le Goncourt.
– Ah oui, je connais ça, les presque. J’ai d’ailleurs presque eu une idée géniale aujourd’hui. Mais c’est bizarre, comme titre, pour un livre, “le Dicker”, non ?
– Non mais c’est comme ça qu’on dit, à Paris, en fait ça s’appelle “La vérité sur l’affaire Harry Potter”, parce que c’est important, pour avoir le Goncourt, d’avoir un titre long, par exemple “La guerre selon Charlie Winston” ou “La vérité sur l’affaire Harry Potter”.
– Bon ben mon premier roman s’appellera “Les mystérieuses aventures du vieux qui ne voulait pas aller à la piscine de Central Park à cause des écureuils le mardi qui se cachent pour mourir dans les songes d’un froid d’été…”
– Ta gueule. Bon. tu as lu le Dicker ?
– Non. C’est bien ?
– A Paris, on ne lit jamais les livres dont on parle. C’est une règle. Mais il se vend bien, donc à Paris, on n’aime pas trop, mais…
– Excuse-moi mais tu es Parisienne ?
– Non mais j’étais en stage.
– Tu es imaginaire et tu vas traîner à Paris alors qu’il y a des tas d’endroits plus glamour comme La Membrolle-sur-Choisille ?
– Donc le Dicker, c’est un livre qui raconte l’histoire d’un écrivain.
– Ah pas mal, ça, comme idée ! Ça n’a jamais été fait, si ?
– Non, c’est la première fois. Mais j’ai pensé que toi, tu pourrais écrire l’histoire d’un écrivain qui écrit l’histoire d’un écrivain.
– Ah oui, pas mal. Ça se passerait à Morges.
– Non, aux States. C’est important, quand on est un écrivain suisse qui marque le renouveau de la littérature romande de bien faire croire qu’on est américain, sinon après les gens trouvent ça mal écrit, à cause de l’accent.
– J’ai lu un Chessex, une fois. Ça se passait à Payerne. C’était bien. Tellement bien écrit que j’ai fait six mois de dépression. Mais il n’y avait pas d’écrivains, que des bouchers.
– Donc c’est l’histoire d’un écrivain de San Francisco qui écrit l’histoire d’un écrivain de Los Angeles qui va à Miami sur les traces d’un écrivain pour s’inspirer… Je te le note ou tu vas retenir ?
– Non non… Ça a l’air bien pour le moment. Il peut rencontrer des aliens contaminés par des OGM en route ?
– Non. Que des écrivains. Tous très riches et très beaux.
– Ah mais ça va être chiant, un peu. Il pourrait pas y avoir aussi un trentenaire un peu loser et des poulets ninja ?
– Le policier ?
– Non, l’animal.
– Non.
– Le policier alors ?
– Non.
– Et des ours ?
– Ça, à la limite. Mais seulement s’il y a des écrivains concupiscents dont la meilleure amie est une quadragénaire lesbienne qui écrivent des romans à succès qui racontent l’histoire d’écrivains à succès dont la meilleure amie est une quadragénaire lesbienne.
– Ça me rappelle un truc.
– Non.
– Bon ben je m’y mets.
– 600 pages minimum.
– 600 pages pour un post de blog ?
– Minimum.
– Ah parce que moi j’étais plutôt parti sur 16 lignes.
– Tu signeras jamais le renouveau de la littérature romande avec tes conneries.
– J’ai lu un Chessex une fois. Il faisait dans les 22 pages. J’ai vomi trois fois. C’était super bien écrit.
– Et puis pas de dialogues trop longs, hein ? Tu sais que tu dois arrêter, avec ça ?
Il ferma la porte dans un doux bruissement d’ailes. La sueur perlait sur son front évanescent.
– Merde, mais arrête avec tes adjectifs incongrus », lâcha Gunda dans un dernier soupir.
Il se remit à la tâche. Tout en saisissant d’une main Friedholm, sa fidèle haltère, il entonna de l’autre le chapitre 650 de sa saga, un roman audacieux dans lequel le héros, un écrivain en mal d’inspiration après le succès foudroyant de son roman “L’écrivain qui recherchait l’inspiration après le succès foudroyant de son roman sur un écrivain”, partait sur les traces d’un célèbre écrivain. Soudain, une sculpturale blonde entra dans la pièce. Il la reconnut sans peine. C’était Fiodor, son épouse, qui n’était pas écrivain.
– Merde, mais arrête, tu salis tout. », constata Gunda dans un croassement fugace.