Archive for September, 2012

2007, c’était mieux avant

Tuesday, September 25th, 2012

Soudain, il y eut un terrible BUG, un bug collectif qui s’attaquait à nos mémoires : était-il vraiment possible que nous ayons, pas plus tard qu’en 2007, envoyé publiquement ce mot doux ridicule à cette fille rencontrée la veille, dont on ne se serait probablement pas rappelé le nom cinq ans plus tard à l’ère pré-facebookienne, et dont on ne se rappelait d’ailleurs plus trop pourquoi elle était dans nos amis jusqu’au fameux bug.

Heureusement, nous avions à notre disposition une DeLorean, la possibilité d’aller assez facilement revoir à quoi ça ressemblait, facebook, en 2007.

Séquence nostalgie, comme ils disaient à la télé, quand on regardait encore la télé les soirs où il n’y avait rien sur Internet.

En 2007, 2007 et demi, tu as débarqué la fleur aux dents sur ce “Facebook” dont ils parlaient sur les blogs spécialisés et parfois dans les journaux. C’était un peu comme Copains d’avant, mais en mieux, semblait-il, tu n’avais pas grand chose à faire ce jour-là alors tu t’es dit que tu allais essayer, pour voir. Poli, Facebook t’a suggéré d’ajouter des amis en allant regarder dans tes e-mails. Il t’a proposé plein de noms qui ne te disaient rien : ce jour-là, tu as découvert avec angoisse que tu avais plus de blogueurs que de gens de la “vraie vie” dans ton carnet d’adresse et avec satisfaction que tous ces blogueurs avaient des noms, des visages et tout ce genre de choses, alors tu les as demandé en amitié.

Puis tu as cherché des noms : anciens camarades de classe ou collègues de boulot, amis d’adolescence et même, dans un instant d’égarement, compagnons de galère obligatoire pour tous les mâles suisses entre 20 et 32 ans. Las : la vraie vie n’avait pas encore cédé. Elle allait y venir, malgré 221 743 articles intitulés “Facebook c’est fini” et autant de “Scandale, Facebook mange des bébés dauphins” sur les blogs spécialisés. Alors tu as ajouté des amis inconnus. Facebook te demandait comment tu les connaissais alors tu répondais n’importe quoi, c’était hilarant, enfin, sur le moment, enfin, peut-être pas tant que ça mais que veux-tu, c’était 2007, on n’avait encore un humour très fruste. Puis tu leur as lancé des moutons, tu as fait des quiz et des jeux pour savoir qui avait le plus gros cerveau et perdre un peu de temps, tu as poké des inconnues dans l’espoir secret de pécho et le plus étonnant, c’est quand ça a marché, et tu as rédigé des status en franglais parce qu’ils devaient commencer par is et que tu avais déjà fait toutes les blagues en is thme et is térique. Tu trouvais ça un peu dommage qu’on ne puisse pas commenter, par moments. Tu as exploré un peu plus les possibilités du truc et tu étais très fier que ton groupe “Je mange 35 fruits et légumes le dimanche pour être tranquille la semaine” ait plus de 200 membres. Puis tu as exploré un peu plus le truc et tu t’es rendu compte que “si toi ocii tuu èm paa léécol” en dénombrait 217 425. La vraie vie était arrivée pendant ce temps. Tu lui as dit salut ça va, elle a répondu et toi, tu as dit que deviens-tu et ça s’est arrêté là, même si elle regardait avec un air légèrement interloqué l’adolescent timide et le jeune homme vaguement sérieux qu’elle avait connu lancer des moutons tous azimuts. C’est à ce moment-là que tu as commencé à t’intéresser aux paramètres de confidentialité. Puis une nouvelle version de Facebook est arrivée et franchement, tu trouvais la précédente mieux.

Un soir maussade, sans doute un dimanche, tu t’es mis à rechercher tes ex, il y en a une qui était devenue mariée, bien fait et une autre qui était restée célibataire, bien fait (cinq ans plus tard, beau joueur, tu likes régulièrement des photos de Ramountcho, son petit deuxième). Puis une nouvelle version de Facebook est arrivée et franchement, tu trouvais la précédente mieux.
Entre-temps, c’était devenu le sujet de conversation de prédilection de la vraie vie, quand elle te racontait un truc elle ajoutait “tu le mettras pas sur Facebook lol”, elle te trouvait accro alors qu’elle venait de passer trois heures à prendre des tas de photos pour que le monde sache qu’elle était à un concert dont elle n’avait rien vu puisqu’elle était en train de prendre des photos. Puis ton prof de lutrin t’a demandé pour la première fois de l’ajouter à ses amis et là tu as craqué, tu as ouvert un deuxième compte au nom de ton lapin nain.

Puis une nouvelle version de Facebook est arrivée et franchement, tu trouvais la précédente mieux.

Puis un jour des mecs se sont mis à explorer une version de Facebook qui avait plusieurs mois, ce qui en faisait une version archaïque, ils y ont découvert des trucs qu’ils ne comprenaient pas alors dans le doute, ils ont dit que c’était dangereux et le monde entier s’est mis à courir dans tous les sens en hurlant et en sautant par la fenêtre et c’est ainsi que la fin du monde a débuté. Puis une nouvelle version de Facebook est arrivée et franchement, tu trouvais la précédente mieux.

Dur comme fer

Friday, September 21st, 2012

– Je crois qu’on va pas contre le beau. »
– Ils annoncent du mieux pour mercredi, je crois… »
– Non mais je suis pas venu parler météo, je suis venu faire un dépot de croyance ! »
– Ah oui, je me disais aussi… vous avez tous les documents en ordre, formulaire officiel b42, signatures avalisées par un opérateur assermenté, dossier en treize exemplaires… »
– Signatures ? Opérateur ? Non mais on a fait vérifier ça de manière automatisée, avec empreinte rétinienne et tout, plus aucun état n’accepte les signatures… »
– Si, Nauru. »
– Mais ils ont été submergés il y a un bon siècle ! »
– Oui, mais l’état existe officiellement toujours… »
– Mais… je ne sais même pas où trouver de stylos, à part dans un musée ! »
– Je n’ai pas de temps à perdre avec des dépots de croyances mal préparés, monsieur, revenez quand vous aurez tout. Suivant ! »

Je détestais faire ça. Mais c’étaient les directives, et à cinquante-trois ans à peine de la retraite, je n’allais pas commencer à désobéir aux directives. Je n’y avais déjà pas renoncé pendant la période où le pays était dirigé, suite à une erreur lors du tirage au sort, par un chat, je n’allais pas commencer maintenant (je persiste d’ailleurs à dire que cette période n’avait pas été aussi mauvaise). Bien entendu, je trouvais la situation actuelle un peu ridicule, mais qu’y pouvais-je ? Le conseil d’administration national nous avait demandé, jusqu’à la prochaine assemblée des actionnaires, de tout faire pour ralentir les demandes officielles de dépots de croyance et ralentir était un domaine dans lequel je réussissais bien.

Tout avait commencé en 2094, suite à une blague sur un forum qui avait dégénéré en sept ans de guerre. Une guerre d’autant plus ridicule qu’elle opposait, je crois, deux religions qui, à la base, étaient parodiques. Pour le rosilicornisme, je n’en suis pas sûr, certains de leurs préceptes me semblent crédibles, mais les évangéliques, ça, tout le monde le sait. Enfin, difficile de le vérifier, puisque le dernier historien est décédé il y a… ben ça non plus, personne ne le sait avec certitude, tiens. Les nations unies avaient alors demandé à tous les gouvernements de préparer une liste des croyances religieuses dont il ne fallait plus se moquer pour ne pas heurter les sensibilités. Mais des voix s’étaient élevées : “pourquoi seulement les croyances religieuses ? tout le monde se moque de moi parce que je crois que le grand soir va venir, et ce n’est pas normal de tolérer cela”, avait déclaré le très influent kikinou69 sur son 3d-vidéo-blog. Puis, sur un malentendu, une nouvelle guerre avait éclaté, entre ceux qui croyaient aux extra-terrestres et ceux qui croyaient en l’avenir du service public. Elle n’est d’ailleurs pas encore tout à fait terminée. Les nations unies avaient alors essayé d’interdire aux particuliers de posséder des armées privées, mais la République Texanne avait opposé son droit de veto, alors on avait préféré étendre la loi sur les moqueries à toutes les croyances. L’humanité était devenue comme un gros enfant capricieux incapable de supporter la moindre remarque, sitôt que quelqu’un la contredisait, elle se roulait par terre en hurlant.

Chaque semaine, je recevais plus d’une centaine de dépots officiels de croyance. Certaines ridicules, comme celle émanant de gens pensant que leur voisin passait la tondeuse exprès pour leur nuire vu que tout de même ça fait bien soixante ans qu’on n’a plus vu de gazon ou des citoyens affirmant que Servette pouvait gagner encore un championnat maintenant que Genève était une République indépendante. D’autres peut-être plus sérieuses. Difficile de différencier celles déposées par des groupuscules vraiment persuadés du bien fondé de leur démarche, et celles émanant de farceurs ou d’anarchistes qui tentaient de submerger le système sous des tonnes de demandes farfelues, ce qui était probablement le cas de mon dernier visiteur.

– Suivant ! »
– Je crois que le jour viendra où les Irlandais feront la paix autour de la croix. »

Les daims se cachent pour mourir

Thursday, September 13th, 2012

La petite ruelle était sombre et obscure. Et de toutes façons, la ville était déserte. La Sud-Néolotharingie affrontait le Baloutchistan en demi-finales des championnats du monde de beach sepak takraw. Des bars montait une sourde clameur : je crois bien que nous étions en train de gagner.

Je voulais bien comprendre qu’on se passionne pour le sport, je n’avais moi-même raté aucun match de croquet pendant bien des années (même après la dictature du CIO, cette période où, à tout moment, des milices pouvaient vous arrêter pour non regardage de finale et vous envoyer de force dans un camp de sport – et je peux vous dire que je préférais subir un mauvais match de tchoukball à quatre que de devoir grimper aux perches). Mais j’avais du mal à saisir qu’on se passionne encore parce que des compatriotes étaient en train de vaillamment représenter les couleurs de la nation. Depuis huit ans, la fin de la onzième crise de la dette et l’effondrement de la troisième communauté européenne, j’avais changé dix-sept fois de nationalité. D’ailleurs, avant le début de la compétition, j’étais persuadé que Lemanic City était encore une cité libre enclavée entre l’empire Bas-Valaisan et le Royaume des Deux-Juras. Et pourtant, à chaque fois, la plupart de mes concitoyens arrivaient à y croire. Même la fois où un milliardaire excentrique avait racheté toutes les villes commençant par L du monde pour les unir sous sa bannière étoilée, j’ai vu des gens pleurer en entendant l’hymne national. Alors que c’était une chanson des L5.

Il m’attendait. Il arborait le masque des Anonymous Fraction Armée, tiré paraît-il d’une ½uvre cinématographique majeure du XXIe siècle, irrémédiablement perdue après cette période funeste que les historiens avaient appelée Jour du Grand Couinement (une période dont on ne sait pas grand chose, puisque comme vous le savez évidemment, il n’y a plus d’historiens depuis une bonne cinquantaine d’années, la direction générale de Google Schools ® ayant décidé de ne plus enseigner toutes ces matières improductives).
– Voilà ton empreinte rétinienne. Ça fera 300 images panini de la coupe du monde 2032 au Vatican. »
– Vous êtes sûr que je ne peux pas payer en ZyngaDollar ? »
– Pas de monnaies virtuelles. Trop dangereux. »
– Bon, voilà… »
– C’est pour une fille, hein ? »
– Pardon ? »
– Je suis dans le commerce depuis pas mal d’années. J’espère à chaque fois traiter avec des activistes. Mais non. C’est toujours des histoires de filles. Tu l’as repérée à son hologramme au magasin de chaussures et tu aimerais la rencontrer… mais comme tu n’as plus de compte FaceBook3, tu ne sais pas comment la contacter. Alors il te faut une fausse empreinte rétinienne pour te créer une fausse identité. Au fait, tu t’appelles Buduknor Bollomey. »
– Vous dites n’importe quoi. Acheter des chaussures ? J’ai un kit, comme tout le monde… En fait, c’est une ancienne collègue de boulot. Je ne lui ai jamais parlé, évidemment, le règlement est strict, mais j’ai remarqué dans sa manière de remplir les rapports de surveillance qu’elle était la femme de ma vie. »
– Mettons. Et si on t’a interdit d’accès à FaceBook3, c’est parce que tu as essayé de créer un compte pour ton chat. »
– Je n’ai pas de chat, j’ai un coati. Non et puis ça n’a rien à voir. Je ne me suis pas connecté pendant plus de trois jours, alors le réseau m’a considéré comme décédé. Depuis, je n’ai plus d’existence légale. J’ai bien essayé de m’adresser au gouvernement mais bon, aucun n’a duré assez longtemps pour que ses fonctionnaires reviennent de pause similicafé. »
– Je vois. Au fait, tu sais si on a gagné le match ? »

Autotitrage

Wednesday, September 12th, 2012

Je m’étais dit que j’allais me mettre à l’autofiction, c’était à la mode, ou ça l’avait été mais j’étais toujours si décalé, et puis c’était facile, il suffisait de mettre en scène des scènes de son quotidien et puis d’y ajouter un peu de fiction, je sais pas, du drame, un dinosaure ou des super-héros moustachus. Ou juste une boulangère bourrue.

J’étais encore un peu réticent, tout de même, je me disais mais qui ça va intéresser, est-ce bien raisonnable, à quelle heure passe le bus. La veille, le moment le plus intense de ma journée avait été l’achat d’une nouvelle paire de chaussures, très bien, un peu brunes, en 45 et pas trop chères, mais il n’y avait pas de quoi en faire un roman. Même en y ajoutant en dinosaure Ma zouz avait pris possession d’un panier de légumes, il y avait des choux-fleurs alors qu’elle aurait préféré des haricots, ça aurait pu à la rigueur faire une chanson de Delerm, mais bon, je crois qu’il ne tourne plus trop en ce moment. Et puis je n’osais pas trop raconter cette anecdote, de peur de perdre mes dernières lectrices érotomanes et mes derniers lecteurs qui préfèrent l’aubergine.

Puis j’ai croisé un dinosaure, mais à peine avais-je eu le temps de lui signaler que la météo annonçait des brumes matinales en seconde partie de journée et qu’il n’allait donc pas pleinement profiter de son passage dans la région, des super-héros moustachus sont arrivés pour le ramener au zoo.

Je m’étais dit que j’allais me mettre à l’autofiction, puis il ne m’est rien arrivé de spécial. Alors j’ai écrit une autofiction sur l’autofiction.

Mon blog de mode

Tuesday, September 11th, 2012

Cette fois-ci, il ne pouvait pas rentrer bredouille. Il devait mener sa mission à bien, quelles que soient les difficultés. Il le savait. Demain, il serait peut-être trop tard. Son c½ur battait comme une moissonneuse.

Il devait faire vite. Parce qu’il reprenait le travail à 13 heures, d’une part, mais surtout pour faire taire cette horrible reprise de Francis Cabrel par Shakira.

– Puis-je vous aider ? »

Il avait été repéré. Vite, trouver quelque chose.

– Je cherche des chaussures. »
– Ben oui, on est dans un magasin de chaussures. »
– Des chaussures toutes simples, avec des semelles… »
– A la limite, vous auriez pu chercher des radis. »
– Non, des chaussures. »
– Non mais parce qu’on dit des bottes de radis, alors ça fait une blague. Bon, je vous laisse regarder ? »
– Ok… »
– Non mais on ne vend pas vraiment de bottes en radis, hein, je disais ça pour vous faire rire. »

Très bien, il ne pouvait plus fuir, maintenant. Il devait faire face à son destin. Il repéra une paire acceptable, plutôt brune. Elle existait dans toutes les tailles de l’arc-en-ciel, excepté le 45. « Pute vierge », se dit-il.

– Puis-je vous aider ? », derechefa la vendeuse, qu’un écriteau judicieusement placé dénonçait comme se prénommant Gwendoline. Elle avait, grâce à cet écriteau et un rien de bonnasserie dans le regard, subi plus de 116 demandes d’amitié non désirées au cours de la semaine précédente, mais comme cela n’entre pas tellement dans le sujet de cette histoire (les chaussures), nous ne l’évoquerons que du bout des lèvres (enfin, on peut mettre un écriteau dans des chaussures, bien sûr, je n’ai jamais dit le contraire, vous sortez mes propos de leur contexte).
– Non mais je ne disais pas ça pour vous ! »
– Plaît-il ? »
– Non pardon. Alors, ces radis, vous les avez en 45 ? »
– Vous chaussez du 45 ? »
– Sur certaines paires, je peux accepter un 44 et demi, mais il me faut alors un petit escabeau pour enfiler mes escarpins. »
– Hors de ce magasin. Et plus vite que ça. Sécurité ! Il y a là un communiste qui chausse du 45 ! Que je ne vous y reprenne pas. Ah mais ! Ah non, attendez, pardon, je m’emportais, la paire un peu moche et très chère, là, elle vous intéresse ? Nous avons justement reçu un arrivage de 45 par camion express ce matin. »

Il retenta sa chance dans 17 échoppes, mais sans succès. Même sur adopteunegrolle, le site de chaussage à la mode, toutes les paires qui ne coûtaient pas trois fois le salaire d’un trompettiste luxembourgeois ou n’étaient pas de nature à être portées sans arracher de petits glapissements d’horreur à tous les passants croisés (mais des glapissements dignes, tout de même, on est en démocratie) s’arrêtaient subrepticement au 44 pour reprendre sans crier gare au 46. « Foutrebleu », se dit-il, « comment ça se fait qu’on ne puisse jamais trouver des godasses à sa taille dans ce pays, alors qu’on a un gouvernement de gauche, ça ne m’a servi à rien de commander sur internet cette crème hors de prix pour enlarge your feet ».

Pendant ce temps-là, au siège du Complot Mondial®, le chef du département Chaussures se demandait à quoi pouvait bien servir son boulot.